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La bête qui voyait l'homme

On pourrait assister à la naissance de deux generations de limaces géantes par année. Les résidents de Sherbrooke devront peut-être s'armer de patience.

Quand la pluie est au rendez-vous, des centaines de limace géantes envahissent les terrains et grimpent sur les murs des maisons des résidents du Mont-Bellevue, à Sherbrooke.
Quand la pluie est au rendez-vous, des centaines de limace géantes envahissent les terrains et grimpent sur les murs des maisons des résidents du Mont-Bellevue, à Sherbrooke.

« L'expansion des zones agricoles et les changements climatiques poussent les ratons à étendre leur territoire plus au nord », fait valoir Fanie Pelletier. Avec leurs nombreux champs de culture et leurs bâtiments à proximité, les paysages agroforestiers du sud du Québec offrent désormais des conditions plus favorables à l'expansion de l'espèce. Au parc du Mont Orford, où l'équipe effectue une partie de ses travaux, pas moins de 40 individus nichent chaque année dans le secteur du camping Stukely. Les campeurs à l'humeur vacancière s'accommodent plutôt bien des ratons qui se régalent d'une tranche de pain tombée par terre ou d'une nouille oubliée dans l'eau de vaisselle. Les autorités, quant à elles, voient plutôt dans cette cohabitation accrue une véritable préoccupation de santé publique.

« On aime bien attirer et fidéliser des oiseaux dans nos mangeoires, concède le biologiste Marc Gauthier. Mais quand on sème du maïs sur des milliers d'hectares, on attire forcément des bêtes, et les problèmes qui viennent avec. Même à petite échelle, l'humain a des effets sur la répartition de la faune. » Chargé de cours à l'UdeS, Marc Gauthier est aussi à l'emploi d'Envirotel 3000, une firme sherbrookoise d'experts-conseils en environ-nement et faune, filiale de Genivar. En 25 ans de travail sur le terrain, il a aidé de nombreux résidents à solutionner des cas de cohabitation stressante.

Parmi ces cas figure celui de la limace géante, un gastéropode de 10 cm qui cause des désagréments aux résidents de l'arrondis-sement Mont-Bellevue, à Sherbrooke. Profitant du temps pluvieux pour se déplacer, des dizaines, voir des centaines d'individus gluants rampent sur les terrains, grignotent les potagers et grimpent sur les murs des maisons. Importée volontairement

Il faut se faire à l'idée : les rencontres entre l'homme et l'animal seront de plus en plus nombreuses.

D'Angleterre à la fin des années 1950 – des spécimens se trouvaient vraisemblablement dans la paille utilisée pour transporter le verre des fenêtres destinées aux premiers bâtiments de l'UdeS – la limace est surtout restée confinée aux alentours du Mont-Bellevue. Depuis, de nombreux développements domiciliaires ont vu le jour dans ce secteur. Exaspérés de devoir sans cesse ramasser les bestioles, des citoyens ont porté plainte à la Ville, qui a décidé de commander une étude pour mieux comprendre le phénomène et identifier des mesures de contrôle.

Les observations de Marc Gauthier lui ont permis de découvrir que de 15 à 20 % des limaces enclenchent leur cycle de reproduction plus tôt qu'à l'habitude, pondant leurs œufs en juin plutôt qu'à la fin de l'été. « Les hivers et les automnes plus doux des dernières années sont favorables à la croissance des limaces, dont une certaine proportion atteint la maturité de manière précoce », explique-t-il. Possible conséquence des changements climatiques, ces temps plus cléments pourraient entraîner éventuellement la naissance de deux générations de limaces par année au lieu d'une seule, comme c'est le cas actuellement. Les résidents de Sherbrooke devront peut-être s'armer de patience...

« Comme nos limaces indigènes, la limace géante n'a pas beaucoup de prédateurs naturels », fait savoir Marc Gauthier. Il n'y a donc pas de moyen miracle de s'en débarrasser. On peut toujours ériger des barrières mécaniques autour du jardin, avec du paillis d'aiguilles de pin, ou placer une bandelette de cuivre autour des fondations de la maison, ce qui aura pour effet de dissuader la bête de grimper.

Petite bête à l'air inoffensif, la marmotte a causé bien des maux de tête aux résidents de Gatineau, en 2001. Plusieurs d'entre elles s'étaient faufilées sous les capot des voitures, dévorant la laine isolante et les fils qui s'y trouvaient.
Petite bête à l'air inoffensif, la marmotte a causé bien des maux de tête aux résidents de Gatineau, en 2001. Plusieurs d'entre elles s'étaient faufilées sous les capot des voitures, dévorant la laine isolante et les fils qui s'y trouvaient.

Dans ce cas comme dans bien d'autres, il semble que la véritable solution soit d'apprendre à cohabiter. L'homme peut sans doute se consoler : les désagréments que nous subissons demeurent en général modestes si on les compare à ceux des bêtes sauvages qu'on côtoie. Celles qui sont mortes sur le bord des autoroutes témoignent que, bien souvent, c'est de leur vie qu'elles paient ­la traversée du territoire partagé.